Edith Piaf : sa vie en "noir et blanc" vue par Hugues Vassal

Cofondateur de l'agence Gamma,le photographe Hugues Vassal a été aussi le témoin privilégié de la vie d'Edith Piaf entre 1955
et 1963. A l'occasion du cinquantenaire de sa disparition, il sort en collaboration avec le journaliste Jacques Pessis , Edith Piaf "Une vie en noir et blanc" . Un livre-document où clichés
( plus de deux cents cinquante) et souvenirs parfois inédits éclairent d'un jour nouveau la vie de la grande Edith. Rencontre avec ...le photographe admiré de ma jeunesse !
En quelle circonstance avez-vous connu Edith Piaf ? Et comment expliquez-vous qu’elle vous ait admis dans son entourage
?
J'ai rencontré Edith Piaf une première fois en 1956 avec l’écrivain Yvan Audouard alors journaliste au magazine people de
l'époque " France Dimanche ". Edith habitait déjà au 67 bis boulevard Lannes à Paris. Un appartement proche du bois de Boulogne qui deviendra un an plus tard le lieu culte où durant
plusieures années, j'ai suivi, photographié, vécu les principaux moments de sa vie.
Je devais photographier Edith pour la promotion de la sortie de son dernier disque, (un vinyle 45 tours) " l’Homme à la Moto
"sur une musique américaine et des paroles de Jean Dréjac. Edith avait vite réagi à la nouvelle mode musicale arrivée avec le tsunami provoqué par le phénomène Elvis Presley. Cette première
rencontre, brève, m’avait impressionné. Visiblement Edith ce jour là, avait d'autres chats à fouetter. Je l'ai fait poser derrière un grand rideau rouge mimant la conduite du deux roues
vrombissant .Après, posant languissante sur un canapé elle me congédia.
C'est à l'automne 1957 que j'ai commencé a mieux la connaître. Je la vénérais déjà en écoutant tous les soirs "les
amants d'un jour" en compagnie de ma jeune femme, Anna. Ma vie alors était précaire,mes piges de stagiaire,modestes et comme je n'avais pas assez d'argent pour être habillé correctement,
j'étais le préposé à la rubrique des "chiens écrasés".
Alors que mes confrères du journal étaient partis déjeuner, un coup de téléphone a résonné dans la salle de rédaction.
C'était madame Edith Piaf en personne. Elle demandait qu'un photographe vienne la rejoindre au théâtre municipal de Dijon pour photographier sa rupture avec son amant d' alors et aussi le nouveau
! Cétait un ordre.
Il faut dire et cela je l'ai appris avec le temps, Edith Piaf entretenait des liens privilégiés avec France-Dimanche.
« Hugues tu pars immédiatement gare de Lyon, tu prends le Mistral ainsi tu seras arrivé à temps à Dijon pour le spectacle.Tu fais ton boulot, tu reprends le train de nuit et demain matin on
te revoit avec les photos".
C'était la première fois que je partais seul sans un rédacteur. Le train avait pris du retard et j'arrivai au théâtre
municipal en retard : le concert était déjà commencé. Angoissé,le dédale des coulisses m'amena dans le trou du souffleur d'où je ne pouvais voir que deux petits pieds et une croix qui vibrait sur
la poitrine de l'artiste . " Ah ! C'est toi le nouveau de France Dimanche" me dit Edith avec un regard qui me transperça … "Rends-moi un petit service, tu vois ce grand avec des moustaches
qui range sa guitare ? Va lui dire qu’il me lâche les mollets et puis regarde le grand brun sur ta droite : dis lui qu'il vienne dîner avec moi et puis toi aussi viens avec nous ; tu es maigre je
vais te faire grossir... » .
A partir de ce jour je n'ai plus quitté Edith, assistant à tous les grands moments de sa vie. Les bons, les mauvais avec
ses amants (Félix Marten, Jo Moustaki, Doug Davis …) son mariage avec Théo Sarapo, la création de ses dernières plus belles chansons comme " la foule "," Milord "," Non je ne regrette rien ", "A
quoi ça sert l’amour ", ses diverses hospitalisations…
"J'exige que tu me photographies en toutes circonstances : les bonnes mais aussi les mauvaises... Pas d'esthétique : tu me
photographies comme je suis" me disait Edith.
Cinquante ans après sa disparition sa notoriété et popularité restent intactes .Comment concevez-vous ce petit
« miracle » ?
La popularité d’Edith dépasse largement le cadre de la chanson de variété. Edith grandie toujours et reste contre vent
et marée au-dessus du lot au-dessus de bien des chefs d’Etat et célébrités diverses. Dans l ' inconscient collectif, Edith représente à elle toute seule la vie de l'être humain en son
entier, le Bien et le Mal à l’extrême.
Edith était une femme "habitée", exceptionnelle qui avait un don de perception. Lorsque les spectateurs venaient au spectacle
l' entendre, ils étaient réconfortés. Edith incarne la misère morale et l'angoisse de l'être humain.
Pour moi elle était le diable et le bon dieu. Récemment Olivier Dahan,le réalisateur de "La Môme" a mis le point sur tous les
travers de l'artiste accentuant le trait ; il a réussi à faire connaître un être d'exception. Des milliers de spectateurs jeunes qui ne la connaissaient pas ont découvert dans elle, une réponse à
leur questionnement quotidien. Je le dis souvent : dans un moment de déprime mieux vaut écouter une chanson d' Edith que d' avaler un cachet d' antixyolitique.
A votre avis était-elle ce qu’elle chantait ? Ses chansons « reflétaient-elles » sa personnalité ?
Oui, ses chansons sont calquées sur sa personnalité qu'elle avait de très complexe ! Ce n'était pas évident de la saisir
.Elle même avait du mal .
De tout son répertoire quelle est la chanson que vous préférez ?
La chanson qui me touche le plus est " La salle d’attente " sur des paroles de Michel Rivegauche
et une musique de Marguerite Monod sa presque unique amie puisqu'il ne faut pas oublier Marlène Dietrich.
L’un près de l’autre ils étaient là
Tous deux assis, comme endormis
Au bord de la banquette en bois
Dans la salle d’attente
A travers la vitre on voyait
Le vieux manège qui grinçait
Et sa musique tourbillonnait
Dans la salle d'attente
Et cette musique semblait pousser
La grande aiguille de la pendule
Avec un bruit démesuré
Démesuré et ridicule
Et cette pendule les obsédait
Cette pendule qui les regardait
Cette pendule qui tourbillonnait
Dans la salle d' attente....etc....
N’a-t- on pas tout lu sur Edith Piaf ? Qu’apporte de nouveau ce nouvel ouvrage « Une vie en noir et
blanc » ?
Edith avait une double personnalité qu'elle cultivait pour se protéger. La première à
partir de la disparition de Marcel Cerdan a été de se créer une image adaptée à l'idée que le public se faisait d’elle . Ainsi l'on peut dire que dans tous les domaines, elle en rajoutait
une couche épaisse ! Elle démultiplia les amants non par forfanterie mais pour aller dans le sens des fantasmes de son public. Il en fût ainsi aussi pour l’alcool, les drogues, mais aussi pour sa
superstition miraculeuse pour Sainte Thérèse de Lisieux. Sa vénération secrète auprès de la Sainte avait bien plus de profondeur que les clichés qu’elle en a donné.
A l’époque nous journalistes et photographes à France Dimanche avions comme "patron" de la rédaction André Larue. C'est
lui qui m' a imposé et soutenu avec d'autres confrères comme Jean Noli dans le milieu. Et avec la complicité d’ Edith. Il voyait en nous ses biographes du futur.
Edith ne voulait pas que l'on s'approche de trop près des fantômes qui l'ont hanté toute sa vie : la mort de sa petite fille
alors qu'elle faisait la fête dans une boîte de nuit de Belleville...celles de ses amants et protecteurs dans des conditions toujours tragiques : Louis Leplé, Marcel Cerdan, Doug Davis
l’Américain dont le Boeing s’est écrasé à Bruxelles alors qu’il la rejoignait pour l'épouser... La liste est longue.
Ce livre révèle des choses nouvelles à découvrir au fil des pages...
Noir et blanc ne sont-elles pas les deux « couleurs » qui la définissent le mieux ?
Oui ! J'ai toujours vu deux Edith. En premier, la petite dame en noir mais surtout en second, une grande dame en blanc
avec au-dessus d'elle comme une aura au-dessus de sa tête ! . Une femme habitée...
Après toutes ces années, quel souvenir gardez-vous d’elle ? Avez- vous une anecdote qui vous touche
particulièrement ?
Edith me disait souvent : « Hugo tu dois avoir toujours la perle à la cravate » et n'oublie
pas " vise toujours plus haut " .
Je me souviens du grand lit mauve alors que je consolais une Edith seule et paumée .Une toute simple affection la
rassenérrait .Elle me disait : « Tu sais les déceptions ne sont qu'une question d'habitude .Ne te retourne jamais ". Et de poursuivre : " sache que je serai toujours là pour
toi »
En 1983 alors que la vie m'avait fait gravement chuter et que je me retrouvai désemparé je suis allé prié dans une chapelle
avec le souvenir des propos tenus par Edith a mon encontre . Je crois sincèrement qu'elle m'a sauvé du naufrage .
Outre ce livre écrit en collaboration avec Jacques Pessis, avez-vous d’autres projets traitant d’Edith Piaf ?
Et évoquant son répertoire ?
Au mois d’avril je suis accueilli dans une résidence d'artiste pour répéter le spectacle que je prépare sur elle. Ne suis-je
pas maintenant un des rares témoins encore vivants ? Des images me reviennent : les départs et les retours d'Edith de cliniques , les changements d'amants, les pleurs de Bruno Coquatix
pour qu’elle sauve l'Olympia. Et aussi, la rencontre et son mariage avec Théo Sarapo.
Je vais aussi participer à l'occasion du cinquantenaire de la disparition d' Edith a un hommage organisé par les Rose
Croix .On l'ignore souvent mais Edith était rosicrucienne et dans on répertoire une chanson était spécialement dédiée à cet ordre.
En projet également des galas notamment au Canada et à Saint Pierre et Miquelon.
En dehors d'Edith, je prépare un album sur mes années sixties avec mes rencontres de l'époque notamment:Françoise Hardy,
Johnny Halliday,Claude Françoise, Sylvie Vartan....Un autre album encore de photos à partir des mes cliches du temps de l'agence Gamma sur l'ex impératrice Farah Dibah, légendé de ses propres
textes. Bref je n'arrête pas !D.L
Edith Piaf "une vie en noir et blanc " edts du Signe. En vente en librairie. Et aussi sur le site des éditions du
Signe : www.editionsdusigne.fr .Ou par mail:catherine@editionsdusigne.fr
Site Hugues Vassal:www.hugues-vassal.com